Ayant eu plusieurs retours très sympas (merci d'ailleurs à leurs
auteurs! Ca fait drôlement plaisir) sur mon post d'hier concernant le norvégien, je prends
conscience que j'ai jusqu'ici fait assez peu de posts de
« civilisation ». Le mot est pompeux, je ne suis pas
anthropologue, mais c'est le seul qui me vienne. En gros, je trouve
qu'il serait intéressant de partager un peu avec vous davantage de
ce que nous ressentons des différences culturelles et
linguistiques...et il y a à dire !
Je propose de commencer par compléter ce que j'ai dit hier sur la
langue norvégienne. Des quelques langues que je parle, je trouve que
c'est scelle qui ressemble le plus au peuple qui l'utilise. Peut-être
est-ce dû au fait qu'elle est peu répandue. Mais elle a aussi
évolué au gré des évolutions de la société.
Égalité des sexes :
Je vous ai expliqué que le « vous » et les titres
n'existaient plus, car personne n'est censé être plus
« respectable » que son voisin. Une autre égalité est
l'égalité homme-femme. Là, on ne rigole pas. Elle se retrouve partout, y compris dans la
langue. En effet, le norvégien avait dans le temps 3 genres comme en
allemand : masculin, féminin, neutre. Il n'en a plus que deux :
masculin-féminin et neutre. Mais pour éviter de créer de toutes
pièces un nouveau genre (avec les articles définis et indéfinis
qui vont avec), il a été décidé que les mot féminins se
comporteraient comme les mots masculins. Celui qui en a eu l'idée
était så flink ! Donc on a « masculinisé » les
mots féminins : quand on y réfléchit, je ne suis pas certain
que l'objectif d'égalité ait été atteint du coup, ikke sant ? !
Pour vous donner une idée des conséquences (la grammaire n'étant
pas spécialement compliquée, elles sont limitées) :
« Une femme (épouse) » se disait « Ei kona »
Le « Ei » correspond à l'article « Une »
« Ma femme » se disait donc « Kona mi »
(Mais oui, mi = ma :-) )
Maintenant on dit :
« En kone » « En » est l'article « Un »,
et donc par extension maintenant l'article « Une ». Le
« a » final est supprimé car trop féminin:-).
Et « Ma femme » est « Kone min »
Pas trop de conséquences, donc. Mais la vraie question est :
comment des étrangers ayant appris le norvégien sur le tas, en
écoutant les autochtones parler, peuvent-ils être au courant de ce
changement ? Dans le cas inverse, on n'attend pas des étrangers
apprenant le français de connaître la langue du XVIIe... Et bien
c'est tout simplement parce que, comme je vous ai dit que chaque
région de Norvège a gardé des particularités linguistiques. Et
certaines régions trouvaient ridicules l'idée de supprimer le
féminin....donc elles l'ont gardé. On a donc compris qu'il y avait
un problème en comparant les façons de dire de différentes
personnes. Et nous nous sommes faits expliquer le pourquoi du
comment...
Lorsqu'on vient d'un pays où la République, par l'intermédiaire
de l'école, a tout fait pour faire disparaître les langues et les
patois, et pour uniformiser l'usage de la langue, c'est déroutant.
Mais tellement plus riche ! Ca ne porte pas à conséquence car
tout le monde se comprend, et car les dialectes, une fois écrits,
sont très similaires (de ce côté il y a eu une sorte
d’harmonisation).
La politesse
Ce qui est déroutant également en norvégien, c'est le manque de
formules de politesse. Un reste de leur passé Viking, paraît-il.
Dans cette langue, tout est plus direct. On ne dira pas « peux-tu
me passer le sel ?», car si notre interlocuteur n'a pas les
deux bras dans le plâtre, il peut forcément. Mais il n'est pas
obligé de vouloir !:-) Donc dans les faits il suffit de dire
« Je veux le sel ». Clair et direct. Ainsi tout le monde
sait qu'on veut le sel et celui qui est le plus près de la salière
va nous a passer (enfin, on l'espère).
C'est pratique dans un sens, mais je n'ai toujours pas réussi à
m'y habituer. Léna et Anna, au début de leur apprentissage du
norvégien, avaient tendance à traduire directement ces petites
phrases entendues au cours de la journée (c'étaient les premières
qu'elles avaient comprises). Mais en français, le rendu n'est pas le
même ! Nos n'avons pas compris tout de suite d'où cela venait,
mais maintenant qu'elles parlent couramment les deux langues elles
font bien la différence des niveaux de langage.
Bon, je suis sûr que vous allez me dire qu'il y a un moyen simple
d'atténuer une demande un peu directe : dire « s'il vous
plaît ». C'est vrai. Enfin, ce serait vrai si ce mot existait
en norvégien ! Il y a bien une traduction approximative, mais
elle ne s'emploie pas à a fin d'une requête. Il s'agit de « Vær
så god » ou « Vær så snill » (respectivement
« Sois si bon » et « Sois si gentil »). La
traduction directe est trompeuse, car si vous dites en norvégien
« Sois si bon pour me passer le sel », il vont bien
rigoler. On utilise ces expressions lorsqu'on donne quelque chose à
quelqu'un (le « here you are » anglais », ou quand
on le laisse passer avant soi en rentrant dans le bus (pas toujours
bien pris ça, j'y reviendrai). Donc on utilise cette expression
majoritairement seule.
Une autre moyen d'être poli serait d'utiliser le conditionnel :
« Me passerais-tu le sel ? ». Et bien pas de chance,
ce temps n'existe pas. Quand on a une phrase qui commence par « si »,
on sait que c'est une condition, et on met du passé car il faut bien utiliser l'un des temps disponibles et c'est tombé sur lui. Et puis c'est tout ! Donc rien à
faire de ce côté non plus.
La solution ? Ne pas se formaliser quand on vous parle !
Et ce n'est pas toujours simple... Je me souviens, quand mon
norvégien était balbutiant, d'avoir commandé un café et un bolle
dans une boulangerie. J'avais bien conscience que c'était (très)
moyen, mais la commande étant simple j'estimais acceptables les
chances de voir le serveur comprendre ma requête. Mais là,
déception. Il a lentement levé la tête de sa caisse et a lance un
« Hva sa du ?? » un peu hargneux.
« Hva sa du ? » : « Qu'as- tu dit ?».
Ici, on ne demande pas aux gens de répéter. On ne s'excuse pas de
ne pas avoir saisi. On leur signifie par un phrase simple et
intelligible qu'on n'a rien compris et qu'il faut qu'ils répètent.
Donc sur le coup, mon serveur, je lui aurais fait boire le café
(que je n'avais pas réussi à commander) et manger la tasse (qui
était posée devant lui) en même temps. Ce n'est que plus tard que
j'ai compris qu'il n'y avait rien de personnel. Il ne cherchait pas à
me dire que je n'étais pas assez « så flink ». C'est
juste normal...
J'ai surtout parlé de la langue dans ce post (en même temps, je
l'avais dit au début :-) ), mais je vous entretiendrai bientôt de
la société elle-même qui réserve son lot de surprises, et de ses
règles non-dites mais très importantes. (et pas faciles à
connaître, car elles ne sont pas dites justement. Le mal de crâne
pointe...)
Une dernier exemple :
Une matin dans le bus bondé. J'étais monté à un des 1ers
arrêts, et avais donc une place assise. Une femme (très très)
enceinte monte et reste debout. Je ne pouvais pas la rater, j'avais
son ventre au niveau des yeux. Mon côté francais prend le dessus et
je me lève en montrant ma place et en disant (ceux qui ont
suivi plus haut on deviné!) : « Vær så god! » avec un
grand sourire.
Et bien son sourire à elle, il s'est évanoui. Elle m'a regardé
et a juste répondu « Nei !». (Je ne vous le traduit pas, celui-là!)
Bon, une règle importante été apprise ce jour-là : les
femmes et les hommes sont égaux (ca, je le savais, merci), et les
premières prennent très mal qu'un homme puisse leur faire
comprendre qu'elles sont plus fragiles ou pourraient avoir besoin
d'aide, fussent-elles enceintes jusqu'aux dents.
Et bien c'est bête, mai j'ai failli m'excuser de lui avoir
proposé ma place...
Avant de conclure, je me dois de répondre à la question qui vous
brûle les lèvres et vous tracassera toute la nuit si je la laisse
en suspens : oui, j'ai eu mon café et mon bolle. Léna a joué
les interprètes !:-)