samedi 10 mai 2014

Norvégien - partie 2

Ayant eu plusieurs retours très sympas (merci d'ailleurs à leurs auteurs! Ca fait drôlement plaisir) sur mon post d'hier concernant le norvégien, je prends conscience que j'ai jusqu'ici fait assez peu de posts de « civilisation ». Le mot est pompeux, je ne suis pas anthropologue, mais c'est le seul qui me vienne. En gros, je trouve qu'il serait intéressant de partager un peu avec vous davantage de ce que nous ressentons des différences culturelles et linguistiques...et il y a à dire !

Je propose de commencer par compléter ce que j'ai dit hier sur la langue norvégienne. Des quelques langues que je parle, je trouve que c'est scelle qui ressemble le plus au peuple qui l'utilise. Peut-être est-ce dû au fait qu'elle est peu répandue. Mais elle a aussi évolué au gré des évolutions de la société.

Égalité des sexes :

Je vous ai expliqué que le « vous » et les titres n'existaient plus, car personne n'est censé être plus « respectable » que son voisin. Une autre égalité est l'égalité homme-femme. Là, on ne rigole pas. Elle se retrouve partout, y compris dans la langue. En effet, le norvégien avait dans le temps 3 genres comme en allemand : masculin, féminin, neutre. Il n'en a plus que deux : masculin-féminin et neutre. Mais pour éviter de créer de toutes pièces un nouveau genre (avec les articles définis et indéfinis qui vont avec), il a été décidé que les mot féminins se comporteraient comme les mots masculins. Celui qui en a eu l'idée était så flink ! Donc on a « masculinisé » les mots féminins : quand on y réfléchit, je ne suis pas certain que l'objectif d'égalité ait été atteint du coup, ikke sant ? !

Pour vous donner une idée des conséquences (la grammaire n'étant pas spécialement compliquée, elles sont limitées) :
« Une femme (épouse) » se disait « Ei kona »
Le « Ei » correspond à l'article « Une »
« Ma femme » se disait donc « Kona mi » (Mais oui, mi = ma :-) )

Maintenant on dit :
« En kone » « En » est l'article « Un », et donc par extension maintenant l'article « Une ». Le « a » final est supprimé car trop féminin:-).
Et « Ma femme » est « Kone min »

Pas trop de conséquences, donc. Mais la vraie question est : comment des étrangers ayant appris le norvégien sur le tas, en écoutant les autochtones parler, peuvent-ils être au courant de ce changement ? Dans le cas inverse, on n'attend pas des étrangers apprenant le français de connaître la langue du XVIIe... Et bien c'est tout simplement parce que, comme je vous ai dit que chaque région de Norvège a gardé des particularités linguistiques. Et certaines régions trouvaient ridicules l'idée de supprimer le féminin....donc elles l'ont gardé. On a donc compris qu'il y avait un problème en comparant les façons de dire de différentes personnes. Et nous nous sommes faits expliquer le pourquoi du comment...

Lorsqu'on vient d'un pays où la République, par l'intermédiaire de l'école, a tout fait pour faire disparaître les langues et les patois, et pour uniformiser l'usage de la langue, c'est déroutant. Mais tellement plus riche ! Ca ne porte pas à conséquence car tout le monde se comprend, et car les dialectes, une fois écrits, sont très similaires (de ce côté il y a eu une sorte d’harmonisation).


La politesse

Ce qui est déroutant également en norvégien, c'est le manque de formules de politesse. Un reste de leur passé Viking, paraît-il.

Dans cette langue, tout est plus direct. On ne dira pas « peux-tu me passer le sel ?», car si notre interlocuteur n'a pas les deux bras dans le plâtre, il peut forcément. Mais il n'est pas obligé de vouloir !:-) Donc dans les faits il suffit de dire « Je veux le sel ». Clair et direct. Ainsi tout le monde sait qu'on veut le sel et celui qui est le plus près de la salière va nous a passer (enfin, on l'espère).
C'est pratique dans un sens, mais je n'ai toujours pas réussi à m'y habituer. Léna et Anna, au début de leur apprentissage du norvégien, avaient tendance à traduire directement ces petites phrases entendues au cours de la journée (c'étaient les premières qu'elles avaient comprises). Mais en français, le rendu n'est pas le même ! Nos n'avons pas compris tout de suite d'où cela venait, mais maintenant qu'elles parlent couramment les deux langues elles font bien la différence des niveaux de langage.

Bon, je suis sûr que vous allez me dire qu'il y a un moyen simple d'atténuer une demande un peu directe : dire « s'il vous plaît ». C'est vrai. Enfin, ce serait vrai si ce mot existait en norvégien ! Il y a bien une traduction approximative, mais elle ne s'emploie pas à a fin d'une requête. Il s'agit de « Vær så god » ou « Vær så snill » (respectivement « Sois si bon » et « Sois si gentil »). La traduction directe est trompeuse, car si vous dites en norvégien « Sois si bon pour me passer le sel », il vont bien rigoler. On utilise ces expressions lorsqu'on donne quelque chose à quelqu'un (le « here you are » anglais », ou quand on le laisse passer avant soi en rentrant dans le bus (pas toujours bien pris ça, j'y reviendrai). Donc on utilise cette expression majoritairement seule.

Une autre moyen d'être poli serait d'utiliser le conditionnel : « Me passerais-tu le sel ? ». Et bien pas de chance, ce temps n'existe pas. Quand on a une phrase qui commence par « si », on sait que c'est une condition, et on met du passé car il faut bien utiliser l'un des temps disponibles et c'est tombé sur lui. Et puis c'est tout ! Donc rien à faire de ce côté non plus.

La solution ? Ne pas se formaliser quand on vous parle ! Et ce n'est pas toujours simple... Je me souviens, quand mon norvégien était balbutiant, d'avoir commandé un café et un bolle dans une boulangerie. J'avais bien conscience que c'était (très) moyen, mais la commande étant simple j'estimais acceptables les chances de voir le serveur comprendre ma requête. Mais là, déception. Il a lentement levé la tête de sa caisse et a lance un « Hva sa du ?? » un peu hargneux.
« Hva sa du ? » : «  Qu'as- tu dit ?». Ici, on ne demande pas aux gens de répéter. On ne s'excuse pas de ne pas avoir saisi. On leur signifie par un phrase simple et intelligible qu'on n'a rien compris et qu'il faut qu'ils répètent.
Donc sur le coup, mon serveur, je lui aurais fait boire le café (que je n'avais pas réussi à commander) et manger la tasse (qui était posée devant lui) en même temps. Ce n'est que plus tard que j'ai compris qu'il n'y avait rien de personnel. Il ne cherchait pas à me dire que je n'étais pas assez « så flink ». C'est juste normal...

J'ai surtout parlé de la langue dans ce post (en même temps, je l'avais dit au début :-) ), mais je vous entretiendrai bientôt de la société elle-même qui réserve son lot de surprises, et de ses règles non-dites mais très importantes. (et pas faciles à connaître, car elles ne sont pas dites justement. Le mal de crâne pointe...)

Une dernier exemple :
Une matin dans le bus bondé. J'étais monté à un des 1ers arrêts, et avais donc une place assise. Une femme (très très) enceinte monte et reste debout. Je ne pouvais pas la rater, j'avais son ventre au niveau des yeux. Mon côté francais prend le dessus et je me lève en montrant ma place et en disant  (ceux qui ont suivi plus haut on deviné!) : « Vær så god! » avec un grand sourire.
Et bien son sourire à elle, il s'est évanoui. Elle m'a regardé et a juste répondu « Nei !». (Je ne vous le traduit pas, celui-là!)
Bon, une règle importante été apprise ce jour-là : les femmes et les hommes sont égaux (ca, je le savais, merci), et les premières prennent très mal qu'un homme puisse leur faire comprendre qu'elles sont plus fragiles ou pourraient avoir besoin d'aide, fussent-elles enceintes jusqu'aux dents.

Et bien c'est bête, mai j'ai failli m'excuser de lui avoir proposé ma place...

Avant de conclure, je me dois de répondre à la question qui vous brûle les lèvres et vous tracassera toute la nuit si je la laisse en suspens : oui, j'ai eu mon café et mon bolle. Léna a joué les interprètes !:-)


4 commentaires:

  1. Et la seconde question qui me vient alors, c'est : "c'est quoi un bolle ?" :-)
    Encore un bon article, j'aime bien les anecdotes, ça doit être déroutant en tout cas.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. .. Vivre ailleurs permet vraiment de réfléchir à sa propre culture... C'est très intéressant...
    Concernant cette égalité tant souhaitée ici, elle a été pour moi très choquante au départ...
    C'est toujours un peu caricatural de présenter ainsi un peuple, mais je pense que les Norvégiens se visualisent comme forts et indépendants (sans différence entre hommes et femmes), et imagine que tous les êtres humains sont aussi forts et indépendants qu'eux... Je ne sais donc pas tant s'il s'agit de l'égalité homme/femme que de l'égalité d'un être humain envers un autre être humain... Et j'ajouterais que les norvégiens estiment sans doute que si vous ne demandez pas d'aide, vous n'avez pas besoin d'aide... C'est sans doute aussi notre "tort" au départ: on ne demande pas, on n'obtient rien, et en plus, j'avoue qu'on se dit parfois... et pour rester polis...: "quels mufles ces norvégiens..."...

    Comme vous le savez, nous sommes arrivés en plein hiver, et nous utilisions encore beaucoup la poussette pour Anna... Et bien ici, que vous galériez à fond avec deux enfants et votre poussette, pour monter dans l'autobus notamment... ça ne suscite juste aucune réaction (non non, même pas un petit mouvement ne serait-ce que de cils...). Nous avons une fois expérimenté la roue avant de la poussette qui se coince entre le trottoir et le bus... Et bien non, personne n'a bougé... La seule occasion qui a fait réagir +++, c'est quand un chauffeur de bus a refermé les portes sur Anna: là, les passagers ont réagi très fort... et le conducteur a fini par venir s'excuser quand nous sommes descendus... et figurez-vous qu'il était français!!!!!!!!!! :-)))
    Ou alors ce genre de situation est un super moyen de repérer qui sont les étrangers présents: si quelqu’un se précipite pour vous aider, sans aucun doute, c'est, comme vous, un étranger! :-)

    Le bémol que je mets aujourd'hui à cette "caricature culturelle" est que je sens beaucoup plus d'empathie de la part des autochtones maintenant, dans les transports en commun notamment... Est-ce le fait que j'ai moi-même changé en m'imprégnant un peu de leur culture et de leur langue, et est-ce que cela se voit sur mon visage???!!!... Pour revenir à ce que je disais plus haut, peut-être également que j'ose davantage demander de l'aide (ayant compris leur fonctionnement et maîtrisant davantage la langue). Je ne sais pas... En tout cas, même s'ils n'en sont pas encore au point d'aider concrètement (sauf si vraiment vous hurlez à l'aide en pleurant...!! :-), ils finissent en général, en cas de situation difficile, par au moins faire un discret et timide sourire montrant leur soutien... Ouf...SAU-VéS!! :-)))

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  4. J'adore lire tout ça, merci !

    Je m'interroge sur comment tout ça est transposé quand ils communiquent en anglais ? j'ai cru comprendre que les norvégiens le parlaient très bien, et revenant d'une semaine en Angleterre j'ai été chiffonnée d'entendre parfois les profs français (que j'accompagnais en voyage scolaire) ne pas mettre les formes anglaises de politesse dans leurs tournures de phrases, ( style "dont't give me a fork for my picnic" quand j'aurais dit ("I won't need a fork, it's ok", le would atténuant le côté directif...) alors là avec la façon "on ne tourne pas autour du pot" des norvégiens, est-ce que ça leur est compliqué de s'adapter à d'autres langues ?
    Léna et Anna modulent très bien, l'immersion aidant, mais des norvégiens qui restent dans leur contexte auront peut-être tendance à juste "coller" à une traduction sans les subtilités de politesse, respect, etc ?

    Bises,
    Flore.

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